Dans cette page, un texte réactualisé à partir de l’article de Louis Chauris, sur un schiste exceptionnel : la pierre bleue de Nozay en Loire-Atlantique, publié lors d’un congrès et diffusé par le Musée de la Pierre en Belgique, en 2010.
Les illustrations sont issues de la photothèque de PEPITES44.
La Pierre bleue de Nozay : Un schiste exceptionnel
D’après un texte réactualisé de Louis Chauris paru en 2008 lors d’un congrès.
Traditionnellement la Bretagne est le Pays du granit. Pourtant les schistes occupent des surfaces encore plus étendues.
Schiste vient du grec « skhistos » traduit par l’expression « que l’on peut fendre ». Ce terme caractérise des roches de nature assez diverses produisant des moellons plats, des dalles et même des ardoises.
Le Massif-Armoricain les a vu naître des temps précambriens jusqu’à la fin de l’ère primaire (soit entre 700 et 300 millions d’années).
De multiples variétés de schistes découlent de conditions de sédimentation et de contraintes tectoniques multiples et d’un métamorphisme plus ou moins poussé, sous l’influence de climats divers. Le critère de la coloration permet de les distinguer de la façon la plus nette.
Les nuances de bleu, du bleu gris pâle au bleu noir sont les plus fréquentes. D’autres couleurs sont également présentes : mauve, violacé, rouge, rosé, lie de vin, vert, gris argenté, mordoré.
On évoquera ici le surprenant schiste de Nozay, connu localement comme « pierre bleue » dans les diverses conditions de son exploitation et de ses utilisations historiques.
Les Carrières
D’époque « ordovicien moyen » de l’ère primaire, comme les schistes ardoisiers d’Angers, ils perdent cependant ici leur fissibilité pour devenir une roche massive.
Ce changement est en relation avec l’intrusion d’un batholite dont le granit forme une étroite ellipse très allongée autour de la localité de Nozay. Le faciès spécifique de la pierre de Nozay disparaît vers la Touche-de-Boissais lorsque le granit plonge en profondeur.
La densité de ce schiste s’élève à 2,705, il est sensiblement résistant à l’écrasement (de 541 à 755 kg/cm2) et supporte le gel.
Il peut être scié, poli et même sculpté, ainsi certaines entreprises façonnaient du schiste « pour ornements ». Ce « schiste à barrettes » est ainsi susceptible de fournir des éléments très allongés.
L’augmentation de la schistosité permet localement le débitage en dalles épaisses. A distances variables, des cassures ou diaclases interrompent la linéation.
L’ensemble de ces caractères texturaux apportent à l’extraction des variations essentielles.
Cette bande schisteuse large de 500m à près de 2km affleure çà et là et forme des « Grées »
Toutes les carrières sont à ciel ouvert et s’étendent d’est en ouest de manière discontinue entre Marsac : La Châtaigneraie (4 carrières) et Nozay : Petit Grandjouan (2 carrières), La Chenuetière (1 carrière), les abords de la Villatte et de la Croix Jarry (3 carrières), le nord-ouest de Coisbrac (1 carrière), La Colle (3 carrières).
Ces 14 sites d’extraction (en dehors des carrières aujourd’hui comblées et donc invisibles) souligne l’importance du secteur de Nozay. Seule l’exploitation de Coisbrac persiste de nos jours.
La carrière du Parc, utilisée localement comme piscine, à l’arrêt de l’extraction (1940) a été aménagée dans le cadre d’une mise en valeur touristique.
Ces carrières abandonnées, plus ou moins envahies par la végétation, peuvent être partiellement inondées.
Les fronts de taille, les déblais accumulés, parfois un abri de tailleur de pierre ou même des vestiges de rail pour wagonnets, trahissent cependant l’activité passée.
Le découvert, très faible (0,50 à 1m50), du filon facilitait l’extraction en bancs d’épaisseur moyenne de 0,50m. Les excavations ne dépassaient guère 10-12 mètres de fond en raison de la difficulté à remonter les blocs et la présence de pyrite en profondeur.
Le début de la première exploitation du schiste nozéen reste à préciser. A l’époque gallo-romaine on l’utilisait déjà pour le pavage des voies.
Les premières constructions en schiste remontent au Moyen-âge : XIIe pour la vieille église de Nozay.
Mais l’âge d’or de la pierre bleue est sans doute le XVIe siècle, date de l’embellissement des manoirs du Coudray, des Grées, du Maire, de Rosabonnet, de la Naulière.
Deux siècles suivent où le tuffeau du Val de Loire est préféré à la pierre de Nozay pour l’encadrement des portes et fenêtres des belles demeures. En fait le schiste de Nozay sera employé de nouveau, avec une ampleur inégalée, seulement dans la seconde partie du XIXe siècle.
En 1889, on compte 8 entreprises Franck, Bouvet, Launay, Gonel, Lessard, Masson, Langouë, Douet.
Au début de XXe siècle le bassin de Nozay employait près de 200 carriers. La production était diffusée plus facilement grâce à l’ouverture de la ligne de chemin de fer en 1885.
En 1935, sur le prospectus catalogue ne figurent plus que quatre entreprises (J.Bouvet, F.Bouvet, Franck, Lemasson)
L’extraction s’est longtemps faite à l’aide de coins, avec l’avantage de ne pas abimer la pierre.
Par la suite elle s’est faite à la poudre noire après perforation des trous au chante-perce.
Les blocs débités étaient remontés du fond de l’excavation à l’aide d’un treuil, dans des wagonnets glissants sur rail.
La taille était réalisée dans un abri d’auvents fait de murettes de pierres sèches et recouvert de genêts. Le volume des déchets était abondant.
L’emploi du marteau taillant pesant jusqu’à 11 kg servait au creusement des auges, à l’aplanissement des palis. Le Polissage de la pierre s’effectuait à la main.
Des utilisations multiples
Le schiste de Nozay, en fonction des dimensions et de la texture des éléments extraits, a reçu de multiples usages.
Comme les schistes ardoisiers aux environs étaient abondants, et compte-tenu de sa fissibilité limitée, il n’a pas été recherché comme ardoise.
Dans ses nombreuses utilisations, on retient l’habitat.
Dans plusieurs manoirs réhabilités au XVIe siècle, on admire les escaliers en schiste des tourelles, et, plus encore, les linteaux de cheminée, réservés aux plus belles pierres.
Il est également omniprésent dans les élévations et les fenêtres à meneau et dans le dallage au sol.
Les communs et les constructions annexes sont également en schiste (moulins, Fours à pain, granges, écuries avec séparation par de grandes plaques et pavage posé sur chant, lavoirs…)
On retient plus particulièrement le Château de Châteaubriant qui mérite une attention particulière par son éloignement, attestant le prestige de son schiste, et par la beauté de mise en œuvre dans les colonnes cylindriques et les marches d’escalier.
On peut également évoquer l’exemple, également distal, du dallage du Château de Saffré.
Divers ouvrages en schiste se rapportant à l’habitat et à la vie rurale sont également à mentionner : éviers, tables, auges, bacs pour abreuver le bétail, bassins divers…
Une mention spéciale pour les palis : ces plaques de schiste dressées verticalement, servant de clôture (de formes et dimensions irrégulières), mais aussi de parois aux granges (aux contours réguliers et de grande dimension, jusqu’à plus de 2,5 m de hauteur.
Les palis confèrent à toute la région nozéenne un charme attachant.
Parmi les édifices religieux, l’ancienne église du vieux bourg de Nozay (essentiellement des XIIe, XVe et XIXe siècles) mérite l’attention.
Sa « porte des morts » du XVe siècle, ouverte dans le transept nord, d’architecture gothique flamboyant, est particulièrement remarquable.
Dans la nouvelle église de Nozay, consacrée en 1869, granite et calcaire éclairent le sombre schiste local.
Le dallage de la chapelle Saint Germain à Vay a fait appel à la pierre de Nozay.
Plusieurs autres églises ont recherché ce matériau : Joué/Erdre, Corpsnuds, Conquereuil, et même Donges, aujourd’hui disparue, près de St Nazaire.
Les croix en schiste de Nozay sont remarquables, on en comptait une quarantaine dans la seule commune de Nozay. La diversité de leur aspect met pleinement en valeur les qualités exceptionnelles de ce matériau.
Des exemples sont à citer :
Proche de la Carrière de Coisbrac, la très haute croix de mission, au fût gracile cylindrique de plus de cinq mètres de haut, monolithe jusqu’aux bras.
Au cimetière de Marsac/Don, une croix avec fût et croisillon sommital façonnés dans un même élément de plus de quatre mètres de haut.
Le Calvaire de Créviac dû à J.P. Fréour (1947) témoigne, de façon éloquente, que l’art d’ériger des croix a perduré encore au XXe siècle.
C’est peut-être dans l’art funéraire que le schiste de Nozay révèle le plus son originalité comme l’atteste un nombre impressionnant de tombes réalisées en cette pierre au cimetière de la localité.
Et sous des modalités très diverses : entourage de tombeaux en longs éléments sciés évoquant le bois, tombales monolithes, plates ou incurvées, croix à morphologie variée, tombe chapelle avec longue plaque de schiste et colonnettes cylindriques couronnées de chapiteaux finement sculptés, le tout en schiste.
D’autres cimetières s’avèrent, également dignes d’intérêt : Marsac/Don, Puceul, La Grigonnais, Abbaretz, Saffré, et même plus loin, Joué/Erdre.
La voirie a aussi fait appel au schiste local avec des bordures de trottoirs atteignant jusqu’à trois mètres de long, des escaliers (accès à l’église de Marsac/Don), des dallages pour trottoirs (Marsac/Don).
Les travaux publics ont également recherché la pierre de Nozay pour les bâtiments et ouvrages d’art de la ligne de chemin de fer Saint-Nazaire-Châteaubriant.
Toutes les carrières ont fourni des piquets (échalas) de hauteur variée (0,80 m à 1,60 m) pour les vignobles du Pays nantais.
Le même schiste livrait aussi des piquets pour les parcs à huîtres où ils de collecteur pour recueillir les naissains.
Ces barrettes de 50 cm de longueur, exportés vers la baie de Bourgneuf, permettait un débouché pour l’utilisation de ces petits éléments, autrement rebutés.
Dans ces deux emplois, le schiste, imputrescible, remplaçait avantageusement le bois.
Pendant la dernière guerre, on peut signaler l’utilisation exceptionnelle du schiste de la carrière de la Chenuetière pour la confection de crayon d’ardoise, avec l’interruption de l’approvisionnement du Portugal.
Aujourd’hui, grâce à l’exploitation de la carrière de Coisbrac, seule à rester, la pierre bleue s’exporte hors de France (Allemagne, Hollande, Belgique)
Dans une carrière, étendue, mais peu profonde, une puissante tractopelle permet d’arracher sans tir de mines, des blocs de forte dimension (jusqu’à plus de sept mètres de longueur).
Le blason, aux armes de la commune de Nozay, apposé à la fin du XXe siècle sur la Mairie, atteste que la pierre locale conserve ses titres de noblesse.
Plus que jamais, il importe d’entretenir ce patrimoine si original.
L’aménagement de la carrière du Parc en site d’information touristique sur la pierre, comme la restauration de l’église du Vieux-bourg sont des signes encourageants.
Mais il convient, aussi, de prêter attention à des constructions plus modestes, comme les croix et les palis qui confèrent aux campagnes nozéennes leur charme indéniable.