Quand la foi chrétienne sublime la Pierre bleue

L’album-catalogue «Au chevet des croix de chemin en pays de la pierre bleue» recensait les édicules les plus «méritants» en notre région nozéenne (avec le vœu qu’ils ne soient pas délaissés).

Le présent ouvrage parcourt trois cent cinquante années de leur histoire, avec bien des incertitudes, des points d’interrogation, et sur un périmètre élargi.

Très richement illustré, avec plus de 200 photos sur 100 pages, il sera bientôt disponible à la vente à la librairie La Bulle à Nozay.

Pour illustrer cette Foi Chrétienne, plus de mille croix fichées dans les chemins et autres endroits sur une cinquantaine de communes autour de Nozay.

Quand sont-elles apparues?

Dans le périmètre concerné, (un rayon de vingt kilomètres autour de Nozay), la plus vieille datée porte l’année 1597. Mais c’est une croix particulière, puisqu’elle n’est pas en mémoire d’un défunt, mais sert de poteau indicateur (tout de même de «pierre bleue»).

Il y en eut sans doute plus de deux cents dans un périmètre encore plus étendu.

Pratiquement toutes avec un croisillon sculpté d’un christ, quelles soient latines (droites), ou à ergots. pendant pratiquement un siècle.

D’autres apparurent ensuite, copiées sur les précédentes, entre bords des chemins et talus de fossés jusqu’en 1850 où elles trouvèrent des concurrentes: les croix de fonte nées de l’ère industrielle qui bat son plein. Moulées en grandes quantités aux ornements codifiés.

Mais n’est pas «pierre Bleue» qui veut, c’est une «A.O.P» selon un étroit cordon d’une trentaine de kilomètres entre Marsac-sur-Don et Châteaubriant. Dans la région de Juigné-les-Moutiers, elle ne peut être travaillée qu’à la «boucharde» (marteau à la panne découpée en pointes de diamant) par éclatement de la matière.

Pourquoi à Nozay (et ses environs) est-elle d’un beau bleu avec des particularités mécaniques qui en font une pierre aux «deux cents usages». Cela pourrait être lié à une surpression localisée…

Toujours-est-il que nobles et gens bien nés la trouvaient fort belle pour entourer portes et fenêtres de leurs manoirs et gentilhommières des 15e et 16e siècles (Par exemple à Nozay, l’Aurière, Les Grées, Le Coudray, Le Maire).

Mais, au début du XIXe siècle, les carrières n’ont plus de tailleur de pierre…

Pourtant deux hommes y croient, l’un venu de Nantes après les émeutes ouvrières de 1836, et l’autre de Lorraine. Ils remirent ces dernières dans une extraction croissante, pour une utilisation de la pierre dans bien des applications.

Des milliers de palis virent le jour, dégrossis au nouveau marteau-taillant que le premier a apporté, ils deviendront clôtures de champ, de jardins, «timbres» et pour les géants (plus de sept mètres), les quatre extrémités d’un hangar coiffé d’une toiture légère.

Il est aussi besoin de milliers de « parpaing » équarris pour tous les chantiers en cours.

En cette fin du 19e la France va mal mais les carrières tournent à plein régime et comment expliquer le besoin de planter tant de croix dans les campagnes?

Peu de nouvelles croix à Nozay (ce patrimoine était déjà bien implanté) mais les patrons-carriers feront leurs choux gras dans les communes environnantes et se serviront du rail tout juste installé (dans les années 1880) pour les exporter dans le Castelbriantais.

Les Launay (venus de Fouy en Marsac-sur-Don) associés aux Bouvet proposèrent avant 1850 leurs croix pattées, un produit de grande finition dès le début de la production, ils tinrent le marché jusqu’après la première guerre mondiale.

L’entreprise Franck a trouvé un autre créneau dans des croix de section ronde, et latines (droites), plus fines, demandant moins de matériau puisqu’elles sont en deux ou trois morceaux. Souvent leur élégance s’oppose au trapu de leurs piédestaux et de leurs embases d’emplanture, plus ces derniers comportent de pierre travaillée plus la facture sera élevée…

En trente ans elle a acquis une telle maîtrise dans l’assemblage (par tenons et mortaises) qu’elle mettra sur le marché des croix tellement hautes qu’elles ne ressemblent en rien aux humbles croix de chemin.

D’autres patrons ont voulu aussi leur part du marché et ils ont taillé des croix aussi monumentales que particulières, avec leurs croisillons entourés d’un disque avec engrenage et souvent fichées dans un piédestal en forme d’autel. Qui pouvait bien les commander, elles devaient coûter une fortune (et à qui?). Elles furent habilement taillées pendant une quinzaine d’années (entre 1870 et 1885).

Au cours de ces décennies les communes environnant Nozay se sont dotées d’un patrimoine important (plus tardif que celui de cette dernière): plus de soixante à Saffré et à Vay, une bonne quarantaine à Abbaretz, guère de moins à La Chevallerais, la Grigonnais, Marsac-sur-Don, autour de vingt pour Jans, Puceul et Treffieux.

Etonnant, les quatre communes ci-après pourtant loin des centres de production, ont un «parc» très important, majoritairement de «pierre bleue» et aussi les plus belles : plus de quarante à Issé (les croix en pièces détachées prenaient le train à Abbaretz suite à l’ouverture de la ligne Nantes/Châteaubriant dès 1877), et une trentaine dans les communes de Lusanger, Saint-Aubin-des-Châteaux, Sion-les-Mines. Là aussi elles prenaient le train et après Châteaubriant changeaient de ligne vers Redon (installée un peu plus tard en 1881), Lusanger ayant un grand quai de déchargement dans son village du Poteau.

Alors tout roule pour les entreprises nozéennes mais plus pour longtemps, la guerre 1914/1918 a fait des coupes sombres dans les hommes disparus et dans les budgets des ménages. Des nouveaux matériaux remplacent la pierre, la pérennité des entreprises n’est plus assurée et le savoir-faire disparaît. Les deux mains sont largement suffisantes pour compter les croix érigées après la deuxième guerre mondiale.

Un petit patrimoine, bien singulier, qui s’est constitué sur une bonne cinquantaine d’années (1860/1910), mais il y a bien longtemps que les «Rogations» ne sont plus là pour leur faire un brin de toilette une fois l’an. Alors elles pourraient disparaître aussi vite qu’elles sont arrivées.

Pourtant ce petit patrimoine et la «pierre bleue» étaient vraiment faits l’un pour l’autre…