Mouton des Landes

Flore et Faune

Article de Yohann Gourdon de Janvier 2016

La disparition du mouton des landes : l’exemple de Nozay

Photographie extraite de l’article moutons des Landes de Bretagne

https://www.races-de-bretagne.fr/decouvrez-les-races/mouton-des-landes-de-bretagne/

 Mr Le Blayer, précieux observateur de la commune de Nozay au XIXe siècle, décrivait en 1843 les moutons nozéens comme « des animaux de races chétives et sobres ». Un de ses contemporains, l’historien de Châteaubriant Charles Goudé, témoignait aussi de « moutons d’une chétive apparence, presque noirs, si petits que de loin le voyageur les prenait pour des bandes de corbeaux descendus dans la plaine ». Les ouvrages de zootechnie de la fin du XIXe siècle nous permettent de mettre un nom sur cet ovin si curieusement décrit : le mouton des landes de Bretagne. C’était effectivement un mouton de petit format, de 40 centimètres en moyenne au garrot ; cependant, si l’on se fie aux données de Jules Rieffel en 1833, qui donne un poids de 16 kg pour ses premiers moutons nozéens, on peut penser que certaines populations pouvaient descendre sous les 30 cm au garrot. Un mémoire de 1733 de l’Intendant de Bretagne Jean-Baptiste des Gallois de la Tour localise ce mouton sur les terres vaines de toute la Bretagne, avec une aire géographique principale centrée sur Redon, et allant jusqu’à Derval à l’est et Saint-Nazaire au sud.  […]

La seule tare du mouton des landes de Bretagne ne tenait donc que dans sa chétivité, expliquée bien sûr par son patrimoine génétique, mais aussi par des carences dues aux rudes conditions de vie des troupeaux, pacageant à l’extérieur toute l’année, et se nourrissant non dans de riches pâturages mais sur les terrains pauvres et difficiles des landes en communs. On comprend aisément que la révolution agricole du XIXe siècle ait voulu améliorer la race, d’autant que certaines années voyaient les troupeaux de moutons complètement décimés par la maladie, notamment la tuberculose.

 Ainsi, parmi d’autres centres d’expérimentation, à l’Ecole d’Agriculture de GrandJouan en Nozay, Jules Rieffel croise en 1833 ses 72 premières brebis, « de la petite race noire des landes », avec deux béliers blancs du Poitou ; en 1839, il introduit les premiers reproducteurs étrangers. Les résultats sont spectaculaires, les produits améliorés gardant la rusticité de leurs mères sans trop de problèmes sanitaires : au cours des 6 premières années, le poids moyen des brebis s’accroît de 52%. On atteint alors des chiffres impressionnants : l’on passe d’un poids moyen brut de 16kg en 1833 à 46kg en 1861, et le poids moyen de la toison passe sur la même période de 0,75 à 2,85kgs. Un léger engouement se fait alors sentir : de 280 000 têtes en 1828, le cheptel ovin croît dans le département de Loire-Atlantique jusqu’à 300 000 têtes en 1840.

Cette progression aurait théoriquement dû se poursuivre, et pourtant, le nombre d’ovins s’effondre jusqu’à moins de 100 000 unités en 1882. […]. La première raison de ce retournement de situation tient dans les défrichements massifs des landes en ce milieu du XIXe siècle à des fins de transformation en cultures et pâturages. Là où le mouton aurait dû retrouver sa place, les agronomes calculèrent que le meilleur emploi de ces terres à herbe grasse se trouvait dans l’élevage bovin. La seconde est que l’amélioration des races animales ne s’est pas arrêtée aux ovins, mais a concerné toutes les espèces. Et une autre belle réussite est celle de la création de la race Maine-Anjou chez les bovins, produisant lait et viande en qualité et quantité remarquables. La troisième raison est l’inondation du marché européen de la laine par les productions fraîchement débarquées d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Amérique du Sud, en quantité et à des prix imbattables. Quelle chance de survie pouvait donc rester au mouton des landes de Bretagne, ne trouvant plus son utilité dans l’entretien des communs en landes, et boudé tant par les fermiers au point de vue du lait et de la viande, que par les tisserands au niveau de la laine ? Ainsi disparaissait du paysage nozéen le petit mouton noir des landes ; et avec lui un artisanat emblématique de Nozay : le textile.

Article complet à suivre

Article de Yohann Gourdon (Historien) : Moutons des Landes et Textile au XIXe siècle à Nozay 44.

La disparition du mouton des landes : l’exemple de Nozay

Mr Le Blayer, précieux observateur de la commune de Nozay au XIXe siècle, décrivait en 1843 les moutons nozéens comme « des animaux de races chétives et sobres »1. Un de ses contemporains, l’historien de Châteaubriant Charles Goudé, témoignait aussi de « moutons d’une chétive apparence, presque noirs, si petits que de loin le voyageur les prenait pour des bandes de corbeaux descendus dans la plaine »2.

Les ouvrages de zootechnie de la fin du XIXe siècle3 nous permettent de mettre un nom sur cet ovin si curieusement décrit : le mouton des landes de Bretagne4. C’était effectivement un mouton de petit format, de 40 centimètres en moyenne au garrot5 ; cependant, si l’on se fie aux données de Jules Rieffel en 1833, qui donne un poids de 16 kgs pour ses premiers moutons nozéens6, on peut penser que certaines populations pouvaient descendre sous les 30 cms au garrot. Il avait de plus une caractéristique qui peut paraître singulière de nos jours pour un mouton : la couleur sombre de sa toison qui pouvait être noire, brune, ou marron, même s’il existait aussi quelques individus blancs. De fait, la production tissée était celle d’étoffes de couleur sombre, plébiscitées en Bretagne7 ; pour des tissus de couleurs plus claires ou blanches, les laines étaient exportées de régions possédant des moutons blancs, comme le Poitou.

Un mémoire de 1733 de l’Intendant de Bretagne Jean-Baptiste des Gallois de la Tour localise ce mouton sur les terres vaines de toute la Bretagne, avec une aire géographique principale centrée sur Redon, et allant jusqu’à Derval à l’est et Saint-Nazaire au sud. C. Goudé écrit qu’ils « étaient l’objet d’un commerce considérable; à eux seuls, ils prenaient une partie de la foire de Béré, et la foire des moutons, qui la précédait, n’était pas moins productive pour le pays qu’intéressante aux yeux des étrangers »8. Ainsi, l’Annuaire de l’an XI évalue à 2000 boeufs, 1000 vaches, 500 chevaux et 5000 moutons le nombre des animaux exposés en vente pendant la foire de Béré9. Les ovins étaient en effet pendant les périodes médiévales et modernes les animaux les plus nombreux à la ferme, et sans doute les plus appréciés, car fournissant peau (pour les parchemins et les vêtements), lait (pour le fromage), viande et laine, sans compter l’aspect pratique en assurant l’entretien des bords de routes et des communs. Même si l’on ne dispose pas de données précises avant la Révolution, voici deux exemples plus tardifs : Justin Méresse10 en 1838, sur son domaine guérandais d’une centaine d’hectares, en possède ainsi 92 individus, contre 68 bovins, 14 cochons et 4 chevaux ; Rieffel en 1828 a 31 bovins, 4 chevaux, 15 porcs, et quelques 300 moutons (700 en 1840)11 !

La seule tare du mouton des landes de Bretagne ne tenait donc que dans sa chétivité, expliquée bien sûr par son patrimoine génétique, mais aussi par des carences dues aux rudes conditions de vie des troupeaux, pacageant à l’extérieur toute l’année, et se nourrissant non dans de riches pâturages mais sur les terrains pauvres et difficiles des landes en communs12. On comprend aisément que la révolution agricole du XIXe siècle ait voulu améliorer la race, d’autant que certaines années voyaient les troupeaux de moutons complètement décimés par la maladie, notamment la tuberculose13. Ainsi, parmi d’autres centres d’expérimentation, à l’Ecole d’Agriculture de GrandJouan en Nozay, Jules Rieffel croise en 1833 ses 72 premières brebis, « de la petite race noire des landes », avec deux béliers blancs du Poitou ; en 1839, il introduit les premiers reproducteurs étrangers. Les résultats sont spectaculaires, les produits améliorés gardant la rusticité de leurs mères sans trop de problèmes sanitaires : au cours des 6 premières années, le poids moyen des brebis s’accroît de 52%. On atteint alors des chiffres impressionnants : l’on passe d’un poids moyen brut de 16kg en 1833 à 46kg en 1861, et le poids moyen de la toison passe sur la même période de 0,75 à 2,85kgs14. Un léger engouement se fait alors sentir : de 280 000 têtes en 1828, le cheptel ovin croît dans le département de Loire-Atlantique jusqu’à 300 000 têtes en 1840.

Cette progression aurait théoriquement dû se poursuivre, et pourtant, le nombre d’ovins s’effondre jusqu’à moins de 100 000 unités en 1882. Ainsi, une exploitation moyenne de 30 hectares qui possédait un troupeau de 50 brebis en 1800 n’en possède plus un seul en 188015. La première raison de ce retournement de situation tient dans les défrichements massifs des landes en ce milieu du XIXe siècle à des fins de transformation en cultures et pâturages16. Là où le mouton aurait dû retrouver sa place, les agronomes calculèrent que le meilleur emploi de ces terres à herbe grasse se trouvait dans l’élevage bovin. La seconde est que l’amélioration des races animales ne s’est pas arrêtée aux ovins, mais a concerné toutes les espèces. Et une autre belle réussite est celle de la création de la race Maine-Anjou chez les bovins, produisant lait et viande en qualité et quantité remarquables17. La troisième raison est l’inondation du marché européen de la laine par les productions fraîchement débarquées d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Amérique du Sud, en quantité et à des prix imbattables. Quelle chance de survie pouvait donc rester au mouton des landes de Bretagne, ne trouvant plus son utilité dans l’entretien des communs en landes, et boudé tant par les fermiers au point de vue du lait et de la viande, que par les tisserands au niveau de la laine ?

Ainsi disparaissait du paysage nozéen le petit mouton noir des landes18 ; et avec lui un artisanat emblématique de Nozay : le textile.

Yohann Gourdon, Janvier 2016

1 Le Blayer (monographie sans nom ni origine), Archives Départementales de Loire-Atlantique, 1J64.

2 Charles Goudé, Histoire de Châteaubriant, Rennes, 1870, page 162.

3 L. Moll et E. Gayot (sous la direction de), Etude de zootechnie pratique, Editions Firmin-Didot Frères, Fils et Cie, 1867. Pierre Joigneaux, Le Livre de la ferme et des maisons de campagne, vol. 1, Editeur V. Masson et fils, 1863. J. M. Magne, Étude de nos races d’animaux domestiques et des moyens de les améliorer,1857.

4 Actuellement, il subsiste uniquement à travers la race du mouton d’Ouessant, titulaire du titre du plus petit mouton du monde. Pour toutes les caractéristiques de la race, consulter le site des Amis du Mouton d’Ouessant sur mouton-ouessant.com.

5 Le standard actuel du mouton d’Ouessant est de 50 cms au garrot pour 40 kgs, avec une tête fine, et des cornes de grande amplitude pour le bélier.

6 René Bourrigaud, Le développement agricole au XIXe siècle en Loire-Atlantique, Université de Nantes, Thèse de doctorat du 22 février 1993, T.2, p. 498. Il faut toutefois se montrer prudent avec ces chiffres ; leur exagération ne pouvait être qu’à l’avantage des méthodes de Rieffel.

7 C’est d’ailleurs là qu’elles coûtaient le plus cher. La base des vêtements de tous les jours était la bure, étoffe de laine. Bure vient du qualificatif « burel », donné aux laines de couleurs grises, brunes ou noires.

8 Charles Goudé, Histoire de Châteaubriant…, p. 162.

9 Charles Goudé, Histoire de Châteaubriant…, p. 178 note 1.

10 René Bourrigaud, Le développement agricole au XIXe siècle en Loire-Atlantique…, Annexe 2.2 p. 27 : « Une monographie d’exploitation sous le Second Empire par Julien Méresse de Guérande ».

11 René Bourrigaud, « Les transformations de l’agriculture et du monde agricole castelbriantais de 1800 à 1950 », Pays de Châteaubriant – Histoire et Patrimoine, n°3, 2004, note 73 p. 34.

12 Antoine Pacault, « L’agriculture dans la région de Châteaubriant aux XVIe, XVIIe et XVIIIesiècles », Pays de Châteaubriant – Histoire et Patrimoine, n°3, 2004, pp. 9 à 15.

13 Mémoire sur les ressources de la ville de Châteaubriant, adressé à l’Intendant de Bretagne en 1712 par la Communauté de ville, ADLA C502. Ce fait est néanmoins nuancé par un rapport de Justin Méresse de 1858 à Guérande, qui écrit que s’il y a peu de maladies à attaquer les troupeaux, les ravages de la consomption (tuberculose) peuvent être terribles certaines années.

14 René Bourrigaud, Le développement agricole au XIXe siècle en Loire-Atlantique…, T.2, p. 498.

15 René Bourrigaud, Le développement agricole au XIXe siècle en Loire-Atlantique…, T.1 p. 64 et suivantes.

16 Ainsi, entre 1830 et 1861 sur le canton de Nozay, les landes sont réduites de 10000 à 1700 hectares. Christian Bouvet, « Elevage bovin, cuir et beurre au Pays de Châteaubriant », Châteaubriant – Histoire et Patrimoine, n°8, 2010, p. 11.

17 René Bourrigaud, Le développement agricole au XIXe siècle en Loire-Atlantique…, T.2 p. 499 et suivantes.

18 On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le département des Landes qui à la même époque perd lui aussi son cheptel ovin (et son image d’Epinal du berger chaussé sur ses échasses) par suite de l’assèchement des landes humides par/pour la plantation de pins.

Mouton des Landes de Bretagne, voir site :http://www.races-de-bretagne.fr/decouvrez-les-races/mouton-des-landes-de-bretagne/