Pilhaouer, pillotou (chiffonnier) : La Feuillée (29), Lanfains (22).

Pilhouer de la Feuillée ou Pillotou de Lanfains, en Basse comme en Haute Bretagne, ces mots évoquent le chiffonnier ambulant qui parcourait bourgs et campagne à la recherche des chiffons utilisés pour la fabrication du papier.

Illustration : Pierre Teffo, Chiffonnier à Nozay et possesseur dès les années trente d’une camionnette Ford, très utile pour le collectage des tissus, peaux, crins et ferrailles diverses.

Pierre, né au Foeil en 1888, est âgé de deux ans sur les listes du recensement de 1891 à la Brousse Jolie sur la commune du Foeil, près de Quintin. Il est venu à Nozay avant 1921 pour remplacer son cousin Henri*, mort en 1916 au front dans la Somme.

Il est inscrit sur les listes nominatives du recensement de 1921 à Nozay avec la mention de chef de ménage, né au Foeil en 1888, chiffonnier patron, route de Marsac/Don en compagnie de son épouse Marie, née Le Cardinal en 1893 à Hillion, elle aussi chiffonnière, de sa soeur Désirée Teffo, née en 1895, à Boqueho, elle aussi chiffonnière, et de Marie Redon, née en 1903, à Nozay, domestique cuisinière.

En 1926, les mêmes sont présents route de Marsac avec les mêmes professions auxquels s’ajoutent Joseph Lesturgeon, né en 1894 à l’Hermitage, mari de Désirée Teffo, chiffonnier, employé de Pierre Teffo, et les enfants Marthe Teffo, née en 1914 à Langueux, Colette Teffo, née en 1917 à Langueux, Teffo Pierre, né en 1925 à Nozay, et Raymond Lesturgeon, né en 1922 à Nozay.

Arrêtons-nous un instant sur la profession des chiffonniers. A Nozay, en 1913, les principaux revendeurs sont François TEFFO (58 ans, route de Marsac) et Jean-Pierre MEHEUX (44 ans, impasse de la Marquetterie). C’est une spécialité bretonne car eux-mêmes et leurs employés sont tous originaires des Côtes-du-Nord, d’un petit territoire rural au sud-ouest de St-Brieuc, comprenant les communes de Lanfains, Le Foeil, St-Brandan, Plouvénez, Trémargat, Boqueho 2

2 En effet, suite à l’effondrement de l’industrie toilière, les Lanfinois et autres Costarmoricains se sont tournés vers l’activité de marchands ambulants ou chiffonniers, et sont surnommés les « pillotoux ».

https://www.nozay44.fr/medias/sites/4/2019/07/Les-Acteurs-Economiques-de-Nozay.pdf

171. Henri* François Marie TEFFAUT (1887-1916), classe 1907, n°798 : né le 15 janvier 1887 à Nozay, fils de François et de Jeanne Marie MORIN. Marchand-forain, il est incorporé le 15 octobre 1908 au 2ème BCP, libéré le 25 septembre 1910. Il est chiffonnier chez son père route de Marsac en 1911. Il est rappelé le 3 août 1914 au 264ème RI, est condamné par le conseil de guerre de la 61ème division le 10 octobre 1915 à 3 ans de travaux publics en vertu de l’article 232 du code de justice militaire (coupable de désertion à l’intérieur en temps de guerre). Il passe à la 21ème cie du 265ème RI le 11 octobre 1915, est tué à l’ennemi le 6 septembre 1916 à 500 mètres au sud-est d’Estrées (Somme). Il est inhumé sur place. Campagne du 3 août 1914 au 6 septembre 1916. MPF.

https://www.nozay44.fr/medias/sites/4/2019/07/Liste-des-Morts-Pour-la-France-MAM-de-Nozay_V2.pdf

Sur les listes nominatives du recensement de 1911, Henri Teffo, né en 1887, à Nozay est chiffonnier chez son père, route de Marsac/Don. François Teffo, né en 1855 au Foeil en est le chef de ménage, patron chiffonnier en compagnie de son épouse Jeanne Morin, née à la Cohinière, en 1851, de sa belle-mère Jeanne Morin, née en 1827, à Boqueho, et de son fils Henri.

Voici des notes extraites de « Lanfains entre Landes et Rivières » par Jean le Rétif paru en 1992 (Rue des scribes éditions) et de « Pilhaouer et Pillotou : chiffonniers de Bretagne paru en 1992 aux éditions SKOL VREIZH

« Lanfains entre Landes et Rivières » par Jean le Rétif paru en 1992 (Rue des scribes éditions)

Si Lanfains n’a pas eu l’exclusivité de la profession de chiffonnier au XIXe siècle, bien des Lanfinois ont trouvé dans ce nouveau métier une solution à la crise de l’emploi, causée par l’effondrement local de l’industrie toilière.

L’industrie de la toile dans le secteur de Quintin.

Comme à Loudéac et Uzel, le tissage de la toile et son blanchiment furent une activité essentielle dans la région quintinaise durant près de quatre siècles.

C’est Jean de Laval, époux de Jeanne du Perrier, héritière de Quintin, qui introduisit cette activité dans la région.

Pierre de Rohan, vers 1500, allant dans le même sens, a contribué au développement de cette industrie qui allait permettre à une population importante d’y trouver l’emploi, synonyme de ressources.

Il semble que les moines de l’abbaye de Lanthenac (en la Ferrière près de Loudéac) aient rapporté leur savoir faire pendant la période où ils ont eu la responsabilité pastorale de Lanfains (entre 1599 et 1650).

Ils possédaient alors plusieurs moulins à sérancer le lin.

Grâce à cette activité toilière, les populations des communes rurales étaient importantes. Ainsi, en 1846, il y avait 2342 habitants à Lanfains.

Ayant progressivement perdu le juteux marché de l’Espagne et de ses colonies d’Amérique du Sud, le secteur de Quintin connut une crise terrible.

Lors de l’effondrement de l’industrie de la toile, Lanfains connue une pauvreté sans précédent. Dans chaque commune, de nombreux pauvres et mendiants étaient reconnus comme tels. En 1846, 25 familles de Lanfains étaient déclarées sous ce qualificatif.

A Lanfains, plusieurs chefs de famille trouveront une solution dans le ramassage des chiffons et des peaux. Ils ne seront pas les seuls car à Saint Brandan et à Ploeuc, on signale le même phénomène, ainsi que dans d’autres communes de Bretagne.

Lanfains le Pays des pillotous.

Si le métier de pillotous n’est pas forcément né à Lanfains, le phénomène y a particulièrement été massif. En 1862, dans une note à son évêque, l’abbé Plédran signale ce trait spécifique de la population qui lui est confiée.

Il précise même que 600 à 700 hommes pratiquent le métier de chiffonnier. Ce chiffre paraît excessif, du fait du nombre d’habitants d’alors (2306 habitants à Lanfains). Il n’est pas impossible qu’il comptabilisât ceux qui avaient définitivement « émigré » à l’extérieur.

Au recensement de 1872, 80 chefs de famille sur quatre cents environs ont le qualificatif de chiffonnier. Un homme sur cinq exerce ce métier.

A partir des années 1870, les chiffonniers de Lanfains vont élargir de plus en plus leur champ d’action. Le département deviendra vite étroit.

Avec audace et sans aucun moyen, ils vont partir sur les routes de France, dans les villes, les bourgs et les villages en faisant retentir le célèbre « Peaux de lapin, Peaux, Marchands de chiffons ».

Lieux privilégiés des gars de Lanfains : Morbihan, Loire-Atlantique, Ille et Vilaine, Calvados, Maine-et-Loire, Loir-et-Cher, Eure-et-Loir, Indre, Nord, Vendée, Charente.

Il est possible qu’il y ait d’autres lieux visités par les chiffonniers Lanfinois.

Les départements cités sont ceux qui ont vu des familles s’y établir et engendrer de véritables dynasties de chiffonniers.

Le métier de chiffonnier décrit par l’abbé Plédran en 1862.

Dans cette profession, il y avait l’aristocratie et la plèbe.

L’aristocratie faisait le commerce des chiffes avec une certaine extension.

Elle avait des ouvriers gagés de tous âges, pour « battre » le pays où ils exerçaient leur industrie ; on les appelait chineurs, loués pour neuf à dix mois de l’année commerciale du chiffonnier, ils devaient rapporter chaque soir une quantité de marchandise à leur maître.

La plèbe se composait de chiffonniers plus pauvres travaillant individuellement pour leur propre compte.

Leur niveau de vie augmentait quand leurs enfants se mettaient au travail avec eux.

La classe des chiffonniers était absente de la commune durant dix mois à moins que quelques circonstances extraordinaires ne les ramènent avant l’époque.

Ils partent à la mi-septembre pour revenir à la mi-juillet en la fête de Saint Thuriau.

Ce sont à leur retour les mieux habillés de la paroisse. Ils connaissent leur monde et parle un langage soigné.

Au début du XXe siècle, les chiffonniers revenaient en automobile, et suscitaient ainsi de nouvelles vocations.

Le métier de chiffonnier, décrit par Jean le Blanc

Chaque chiffonnier passait dans les maisons pour demander s’il y avait de la marchandise. Les peaux de lapins étaient plus intéressantes que les chiffons.

On prenait ce qu’il y avait, on ne donnait jamais d’argent, on faisait du troc.

On donnait des mouchoirs (les fameux mouchoirs de Cholet), des serviettes de toilette, des torchons. Pour tant de kilos, il y avait tant de mouchoirs.

Le bon chiffonnier était celui qui savait à la fois discuter du prix et en même temps « préserver » le client.

Beaucoup de jeunes de Lanfains étaient gagés à l’année, chez un chiffonnier du pays.

Les plus organisés, parmi les chiffonniers, avaient une camionnette et des collecteurs à bicyclette qui venaient apporter leur marchandise.

Nous revenions tous pour la Saint Thuriau, le 13 juillet, le bourg de Lanfains était dans une ambiance de fête. Trois à quatre cents chiffonniers revenaient au pays. Les plus fortunés arrivaient en automobile.

Utilisation des matériaux récupérés

Les chiffons

Il y avait une quinzaine de catégories : coton, laine, toile, cordage de chanvre, lin, essuyage propre (morceaux de coton assez grands tels que blouses, pantalons), essuyage sale.

Les chiffons étaient triés à la maison par des ouvrières spécialisées.

Ils étaient ensuite mis en balles (200 à 250 kg pour les toiles).

Les chiffons « essuyage » étaient envoyés dans les usines, les garages…

Le coton tout-venant vers les papeteries, le lin et la toile vers les papeteries fines (Papier cigarette, billet de banque).

La laine était récupérée par les filatures.

Les peaux de lapin étaient destinées à la fourrure ou dans les couperies de poil pour faire du feutre (chapeaux, bérets, chaussons).

Le cuir servait à fabriquer la colle (notamment pour les menuisiers.

Les sauvagines et les peaux de lapin pour les fourrures.

« Pilhaouer et Pillotou : chiffonniers de Bretagne paru en 1992 aux éditions SKOL VREIZH

Le pilhaouer, pilhotour dans le Vannetais, pillotou dans le pays gallo désignait un marchand ambulant intervenant auprès d’une population paysanne encore solidement rivée à son terroir.

Le chiffonnier de Bretagne a tenu un rôle économique non négligeable en ayant permis le recyclage des tissus, de la ferraille, des crins, des peaux…

Pihot en vannetais a le sens de chiffon, apparenté au français pilot qui désigne les chiffons utilisés dans la fabrication du papier.

Autrefois, le ramassage des chiffons remplissait une fonction économique importante dans la mesure où ceux-ci servaient à la fabrication du papier, activité alors florissante.

Les moulins à papier prennent leur essor en Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles.

Au début du XVIIIe siècle, la matière première des moulins à papier était constituée uniquement de « chiffes » , pilhou ou pilhots recueillis dans les villes et les villages ruraux par les pillotous ou pilhaouers.

Les habitants de la Feuillée, paroisse peu fortunée des hauteurs de l’Arrée entre Huelgoat et Morlaix, s’étaient faits une spécialité de la chasse aux chiffons.

Les chiffons abondaient en Bretagne, conséquence de la culture linière.

La Bretagne fournissait suffisamment de chiffons pour satisfaire ses fabricants de papier.

Les meilleurs de ces chiffons étaient expédiés vers la région d’Angoulême où se fabriquait un papier de bonne qualité.

La loi du 8 mars 1733 interdisait toute circulation de chiffons dans une bande de 12 km le long des côtes pour éviter toute exportation frauduleuse vers l’Angleterre.

Les papetiers Trégorrois étaient ainsi privés de la matière bon marché disponible dans les environs de Lannion, Tréguier et Pontrieux où la culture et le tissage du lin connaissaient de beaux jours.

Ogée, dans son dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, nous décrit la vie des habitants de la Feuillée et Loqueffret.

La moitié de la commune de la Feuillée est presque inculte…

Presque tous les habitants de cette commune se livrent à l’état de revendeurs ambulants ; ils voyagent ainsi une grande partie de l’année.

Chaque famille possède son cheval à l’aide duquel son chef transporte à Brest et à Morlaix les produits de Carhaix, Rostrene ou Chateauneuf, au retour ils rapportent le froment que ne peuvent produire leurs terres et en revendent soit à Gourin, soit à Scaër.

Généralement, ces hommes sont vifs, intelligents et s’expriment bien en français.

Grâce à cette industrie, les hommes échappent à la mendicité, mais ils perdent l’habitude de travailler la terre et ce travail retombe à la charge des femmes qui s’en acquittent tant bien que mal.

La commune de Loqueffret est située au milieu de terrains tellement incultes qu’il semble que l’homme n’y ait jamais passé.

La terre ne peut guère produire que du seigle et les habitants sont forcés d’acheter du blé sur les marchés voisins.

Cependant, il y a une certaine aisance provenant d’une extrême industrie : les deux tiers de la population sont toujours en voyage et exercent, avec persévérance et adresse, le pénible métier de colporteur, ils achètent et vendent des chiffons, des sabots…

Les habitants des Monts d’Arrée possédaient un esprit d’entreprise particulièrement développé en s’adaptant aux conditions du marché.

Selon l’époque, ils firent le commerce des denrées alimentaires et des matières premières au XVIIIe siècle, des chiffons, des crins et des peaux de lapin au XIXe siècle, puis des vieux métaux, des draps et des tissus au XXe siècle.

Vers 1838, les papeteries du Finistère consomment environ 232 tonnes de chiffons par an, et celles des Côtes du Nord 457 tonnes.

Ceci supposait qu’un nombre très élevé de chiffonniers parcouraient la campagne à la recherche de cette matière première.

L’amélioration du réseau des chemins et des routes a facilité grandement le travail des chiffonniers qui accédaient ainsi plus facilement à des villages où les chiffons ne pouvaient être enlevés auparavant.

Cependant l’industrie papetière britannique plus dynamique que sa concurrente bretonne, parce que plus mécanisée, se procuraient les meilleurs chiffons.

En Bretagne, jusqu’en 1890, tout le papier était fabriqué à base de chiffons.

A la suite de la découverte, en 1874, d’un procédé permettant d’extraire la cellulose du bois, les papetiers se tournèrent vers de nouvelles techniques et les cours du chiffon baissèrent.

Cependant certaines papeteries de Bretagne restèrent fidèles au papier à base de chiffon.

Les pilhaouers des Monts d’Arrée.

Au XIXe siècle, les villages des Monts d’Arrée regroupaient un nombre important de ménages. Comme leurs exploitations étaient de taille modeste et les sols naturellement pauvres, les cultivateurs ont trouvé un complément d’activité dans le tissage, le colportage, le ramassage des chiffons.

En 1836, il y avait encore des tisserands, mais les chiffonniers étaient plus nombreux dans les communes de la Feuillée et de Loqueffret.

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les toiles de Bretagne continuèrent de se vendre en France grâce à des colporteurs et des marchands ambulants.

Pourtant la concurrence des filatures mécaniques du nord de la France se faisait plus vive.

On remarque l’opposition entre les deux versants du Roch’ Trevezel, elle s’est maintenue jusqu’au lendemain de la dernière guerre.

Sur le versant du Léon, les habitants exercent, dans leur grande majorité, des activités sédentaires : Charbonniers, laveuses, carriers, repasseuses, terrassiers, charpentiers, cantonniers, granitiers, sabotiers.

Sur le versant de Cornuaille, ils sont tamisiers ambulants, marchands de toiles ou chiffonniers.

Mais dès la fin de la première guerre mondiale, le métier de chiffonnier avait déjà amorcé son déclin.

En tentant d’utiliser la situation centrale des Monts d’Arrée pour développer un commerce d’appoint, pendant nécessaire d’une agriculture difficile, la scolarisation des enfants suscite ensuite un espoir pour leur permettre d’accéder aux diverses administrations.

Chaque chiffonnier avait son secteur, son fief qui lui était échu par succession et qu’il laisserait à un de ses héritiers. Ce fief est héréditaire et transmissible de mâle en mâle.

L’apprentissage de chiffonnier :

Dès la fin de la scolarité obligatoire, les enfants de chiffonniers devaient faire le dur apprentissage de leur futur métier. Ils sortaient le plus souvent avec le certificat d’études en poche, confirmant comme le mentionnait Ogée que les chiffonniers avaient l’esprit vif et entreprenant ainsi qu’un niveau intellectuel supérieur à la moyenne.

Pour devenir chiffonnier si l’on ne pouvait prétendre à hériter d’un secteur, il fallait se trouver un parrain.

Ouest-France 11 mai 2025

Ce Normand retrace l’histoire des « pillotous » des Côtes-d’Armor, ces chiffonniers d’un autre temps

C’est un travail de fourmi et de passionné. Yann Le Hérissé, petit-fils et arrière-petit-fils de pillotous, terme gallo pour désigner les chiffonniers du XIXe au milieu du XXe siècle, s’est lancé dans d’impressionnantes recherches sur ces marchands ambulants, pionniers de la valorisation, issus de trois communes des Côtes-d’Armor : Plœuc-L’Hermitage, Saint-Brandan et Lanfains. Le professeur d’histoire, installé en Normandie, prépare une thèse.

Ses racines sont à l’origine de cette aventure, ou parlons plutôt d’épopée vu la dimension que les recherches de Yann Le Hérissé ont pris au fil des années. Le professeur d’histoire en lycée, installé en Seine-Maritime, passait, enfant, « tous les mercredis et les vacances » chez ses grands-parents paternels « dans les reliquats » de ce qui a été une grande partie de leur vie : « Des morceaux de peaux de lapins, des bouts de ferraille… Ils ont fini brocanteurs. »

« Mangez la viande, vendez-moi la peau, gardez les boyaux »

Mais avant, ils étaient des « pillotous ». Ses arrière-grands-parents aussi. Il le dit avec l’accent gallo, cette langue de Haute-Bretagne, d’où est issue cette expression orale pour évoquer les chiffonniers (le mot « pillotsé » désignant les chiffons), ces marchands ambulants qui ont sillonné le Grand Ouest, parcouru campagnes et villes du XIXe au milieu du XXe siècle.

« Peaux, peaux, peaux, peaux de lapin, peaux, imite d’une grosse voix Yann Le Hérissé, pour rappeler le cri des chiffonniers annonçant leur venue sur les marchés. Mangez la viande, vendez-moi la peau, gardez les boyaux ! »

Ce thème passionne le quadra depuis une vingtaine d’années. « C’était mon sujet de mémoire de DEA (diplôme d’études approfondies) en 2002, à l’université du Havre. Je m’étais alors intéressé aux chiffonniers de la Seine-Inférieure, rembobine le Normand, qui n’a jamais cessé de penser et de travailler, de près ou des loin, sur les pillotous. En septembre 2025, je déposerai mon sujet de thèse à l’université de Rennes 2, dans l’objectif de soutenir en 2028. »

Au cœur de son colossal travail, trois communes des Côtes-d’Armor : Lanfains, Saint-Brandan et Plœuc-L’Hermitage. Un petit triangle d’or de bourgades rurales situées au sud de Saint-Brieuc, « Lanfains étant le berceau ». D’ailleurs, le bulletin municipal local porte aujourd’hui le nom « Le P’tit pillotou » en clin d’œil à son passé. « D’autres viviers ont été identifiés à Lanvollon et à La Roche-Derrien. Le Finistérien Yann-Ber Kemener a étudié les chiffonniers, ou les pilhaouer, dans les monts d’Arrée. »

De ferme en ferme, les pillotous glanent « des chiffons pour la fabrication du papier, des peaux de lapins et de taupes, des sauvagines (animaux à fourrure) pour des manteaux, des soies de porcs et des crins de chevaux pour les pinceaux et les brosses, des coquilles d’escargots, des plumes d’oies et des canards, des cuirs, de la ferraille… » Tout est bon à récupérer. « Ils les collectent, les trient et les valorisent. Ces travailleurs des déchets sont les pionniers de l’économie circulaire, du recyclage. »

« J’ai retrouvé la première mention écrite de pillotou, en 1796, sur un acte de décès de Lanfains, pose Yanne Le Hérissé, aimanté par ses recherches. Ils ont commencé à s’expatrier vers 1845-1860. » Lors de la crise du lin, dans le pays de Quintin (la petite cité de caractère a été la place forte des toiles dites Bretagne), les hommes migrent pour échapper à la misère. Ceux de Lanfains vers le Morbihan, les Pays de la Loire et le Poitou ; ceux de Saint-Brandan vers le Centre-Val de Loire et ceux de Plœuc vers la Normandie et la Picardie.

« Il y a souvent deux activités. On peut être laboureur, blanchisseur de toile, étoupassier (N.D.L.R. l’étoupe est un sous-produit fibreux non tissé issu essentiellement du travail du lin) et pillotou. Rester ici, c’était mourir ; partir, c’était espérer. » Yann Le Hérissé a constitué une base de données de 3 000 noms à partir des recensements militaires. Et récolté une centaine de témoignages oraux depuis quatre ans. L’historien retrace des parcours. « Quand je m’y mets, j’ai l’impression d’être dans un sous-marin. »

Des pillotous commerçants qui se déplacent à vélo

Les pillotous « au sens du commerce aiguisé » se déplacent à vélo, avec un porte-bagage bien fourni, « dans un rayon de 30 km ». « On les retrouve dans les villes moyennes, les chefs-lieux de canton avec un marché. Il fallait bien présenter : chaussures cirées, cravate, casquette… Il y a aussi des femmes, mais ce sont des anonymes de l’histoire. » Chaque secteur est sous la coupe d’un chiffonnier. « Ils revenaient l’été dans leurs villages d’origine et recrutaient d’autres jeunes pour l’année. »

Un système se met progressivement en place, « avec un côté paternaliste ». Une hiérarchie s’installe. Des pillotous deviennent marchands de chiffons, puis négociants. La Seconde Guerre mondiale marque une bascule « vers la ferraille et la brocante ». Le métier se transforme. Derrière les pillotous, se révèle une histoire du travail, des pratiques et plus largement de la société. Des contes et des chansons s’en inspirent aussi.

Contact, tél. 06 83 45 66 14 ; par mail, yannleherisse@yahoo.fr.