Le temps des élites en Gaule-Atlantique (XIIIe-VIIe s. av. J.-C.) Pierre-Yves Milcent 2012

Un ouvrage assez récent abordant la fin de l’âge du Bronze et les débuts de l’âge du Fer dans l’ouest de la France, et le phénomène des dépôts, est celui de Pierre-Yves Milcent : « Le temps des élites en Gaule atlantique (XIIIe-VIIe s. av. J.-C.) » paru en 2012 aux Presses universitaires de Rennes. C’est un travail technique mais qui réactualise, notamment, les travaux de J. Briard, aujourd’hui un peu vieillis. 

Notes extraites du livre sur la Gaule Atlantique, et sur l’une de ses trois entités, le Massif armoricain

Selon un point de vue récent, l’âge du Bronze atlantique ne traduirait pas l’existence d’une identité culturelle partagée ou de grands réseaux d’échanges, mais de multiples micro-relations entre les identités locales, nourries parfois d’expéditions maritimes à caractère ésotérique et initiatiques menées par des individus en quête de (re)connaissance.

Nous privilégions l’idée, quant à nous, que l’âge du Bronze et le premier âge du Fer atlantiques se perçoivent, en termes de vestiges archéologiques, au travers de la matérialisation de vastes réseaux de contacts et d’échanges européens orientés préférentiellement selon un axe nord-sud, depuis les îles Britanniques, jusqu’au sud-ouest de la péninsule Ibérique.

Cela n’est pas contradictoire avec le développement d’interactions nombreuses avec d’autres sphères privilégiées d’échanges (Europe centrale, régions qui bordent la Mer du Nord et le détroit de Gibraltar).

Les réseaux atlantiques de très grande ampleur perceptibles archéologiquement concernent prioritairement la (re)production, l’échange et la consommation réelle ou symbolique, de lingots, d’outils, d’armes offensives et d’objets précieux métalliques.

Compte-tenu du nombre peut être limité d’agents qu’ils concernent, de leur pluralité culturelle, l’âge du Bronze et le premier âge du Fer atlantiques peuvent difficilement être conçus comme l’expression d’une civilisation au sens archéologique du terme.

Ce n’est pas un espace où les communautés présenteraient une combinaison de traits de culture matérielle et des modes de vie communs et en nombres plus importants qu’avec les communautés des espaces limitrophes.

Si les réseaux d’échanges atlantiques ont dû produire de l’identité, parmi les élites notamment, cela n’implique pas pour autant que les réseaux identitaires principaux, d’ethnicité s’y superposaient.

On peut, cependant, tout à fait imaginer que les mers et la portion d’océan concernées aient été conçues non pas en tant que limite périphérique, mais comme une vaste mer intérieure et partagée.

Trois entités culturelle constitutives de ce qui est appelé ici Gaule Atlantique se détachent nettement : Le nord du Bassin parisien, le Massif armoricain et le Centre Ouest.

Les marges restent cependant très floues à l’exemple de la région actuelle des Pays de la Loire ou l’archéologie de la protohistoire présente des déficiences en matière de fouilles et de publication.

Les dépôts non funéraires étant abondants dans l’ouest du Massif armoricain, il est plutôt aisé d’identifier des marqueurs à priori spécifiques de la région à travers le mobilier métallique.

Un aspect important ayant pu contribuer à forger cette relative unité du Massif armoricain tient aux ressources métallifères importantes de l’ensemble de cette région (or, argent, cuivre, étain, plomb) et ses marges (minerai de fer), ressources qui n’ont pas manqué d’être exploitées précocement et de placer la région en position clef dans les réseaux d’échanges à longue distance.

A la différence des autres cultures de la Gaule-Atlantique les objets d’importation ou d’inspiration continentale sont rares et limitées essentiellement à la basse vallée de la Loire ainsi qu’aux côtes méridionales de la Bretagne qui en constituent le débouché quasi-naturel.

Les objets importés du sud-est de l’Angleterre sont peu nombreux au contraire des productions du sud-ouest de l’Angleterre et du Pays de Galles relativement abondantes.

Les productions fréquentes dans le Massif armoricain et rares ailleurs sont constituées par les haches à talons massives et les rasoirs de type de Rosnoën, les racloirs triangulaires perforés à nervures, les haches à ailerons subterminaux évoluées, les bracelets lisses circulaires à tampons en pastille.

Les haches à douille quadrangulaire armoricaines matérialisent la production la plus significative durant le premier âge du fer.

L’habitat demeure le parent pauvre de l’archéologie protohistorique du Massif armoricain.
 

Résumé du mémoire de recherche de Pierre-Yves MILCENT :

« Le temps des élites en Gaule atlantique (XIIIe-VIIe s. av. J.-C.) »

Dans le sillage de la thèse de J. Briard (Les dépôts bretons et l’âge du Bronze atlantique) et afin de contribuer à une meilleure connaissance de la place du domaine culturel atlantique à une époque cruciale de la Protohistoire des sociétés de l’Europe tempérée, c’est-à-dire à l’âge du Bronze final et au début du premier âge du Fer, j’ai entrepris d’établir une chronologie relative et absolue précise pour le mobilier métallique trouvé en Gaule atlantique, étant entendu que ce dernier constitue, par son abondance et sa diversité le corpus archéologique de loin le plus riche.

Le but poursuivi à terme étant de mieux cerner, parmi ces produits métalliques, l’histoire de ceux qui distinguaient les élites, un groupe social dont l’étude est à même de livrer des clefs de lecture fondamentale pour comprendre l’histoire de l’ensemble des cultures atlantiques.

Il s’agissait non seulement de mieux connaître, et situer dans le temps l’évolution des objets atlantiques, mais surtout de cerner les dynamiques de constitution des ensembles auxquels la majorité de ces pièces appartiennent : les dépôts métalliques non funéraires.

Avant toute interprétation, une préoccupation fondamentale pour l’historien et l’archéologue est en effet d’évaluer la représentativité du corpus étudiable, et d’identifier les fluctuations documentaires, particulièrement les horizons de hiatus ou de forte contraction qui formeraient autant d’écueils à l’interprétation.

Jusqu’à présent, les dépôts métalliques de la Gaule atlantique ont été considérés implicitement comme formant une séquence chronologique continue, avec une augmentation graduelle des dépôts et du nombre de pièces qu’ils contenaient.

L’histoire typo-chronologique des objets serait donc représentée dans son entier, si bien que les discontinuités observées au passage d’une étape à une autre seraient principalement attribuables à de profonds changements techniques, morphologiques et stylistiques.

Ces changements supposés ont donné lieu à des interprétations, généralement en termes de profondes mutations socio-économiques, ou de diffusion d’influences venues de l’extérieur, essentiellement du domaine nord-alpin.

Ces postulats, rarement formulés comme tels, n’ont jamais été véritablement discutés.

Dans la mesure où les chronologies relatives actuelles de l’âge du Bronze final et du début de l’âge du Fer atlantiques reposent sur des strates complexes de travaux dont les fondements remontent au début des années 1960, j’ai retracé dans un premier temps l’histoire des recherches, ne serait-ce que pour souligner que les systèmes chronologiques développés par les chercheurs britanniques et allemands, contrairement à ce que suggèrent nombre de travaux, ne trouvent pas une concordance parfaite avec la chronologie relative qui fut initiée en France par Jacques Briard.

Des malentendus persistent, spécialement pour le début de l’âge du Bronze final.

Je me suis appuyé ensuite sur les productions parmi les plus répandues dans les dépôts métalliques, et les plus sensibles à l’évolution du temps pour proposer une chronologie affinée.

Ce sont essentiellement les armes, spécialement les épées et leur bouterolle de fourreau, mais aussi les pointes de lance, qui m’ont fourni cette matière de qualité.

La chronologie des dépôts que je propose compte quatre étapes, subdivisées en huit horizons, soit six pour l’âge du Bronze final et deux pour le début de l’âge du Fer.

Les deux horizons du Bf 1 restent difficiles à cerner car les dépôts sont globalement peu diversifiés et assez mal connus.

Leur corrélation avec la chronologie des dépôts britanniques, et surtout avec les horizons typo-chronologiques nord-alpins reste par conséquent problématique.

Les horizons postérieurs, à partir du Bf 2, posent moins de difficultés dans la mesure où leur définition repose sur un éventail plus large de productions.

Toutefois, les horizons du Bf 3 ancien et du 1er Fer 1 ancien soulèvent des problèmes originaux car ils sont mal représentés en Gaule atlantique, mais peuvent être déduits d’ensembles mis au jour ailleurs.

En raison de la rareté des datations radiocarbones fiables pour les objets métalliques de la Gaule atlantique, du fait aussi de l’absence de dendrodates, je n’ai pas eu d’autre choix que de me référer aux chronologies absolues proposées pour d’autres régions – îles Britanniques, mais aussi domaine nord-alpin – afin de situer dans le temps calendaire ma chronologie relative.

J’ai entrepris ensuite de cartographier les dépôts et d’établir quelques courbes statistiques en m’appuyant sur la chronologie plus fine proposée.

Cela m’a conduit dans un premier temps à rassembler une documentation très dispersée sur tous les dépôts métalliques découverts en Gaule atlantique : ils sont près de 400, et fournissent des objets dont plus d’une dizaine de milliers sont conservés ou connus par des illustrations.

On retiendra que l’idée neuve selon laquelle les dépôts terrestres ne fossilisent que très partiellement l’évolution typo-chronologique du mobilier, non seulement d’une région à une autre, mais aussi à l’échelle de toute la Gaule atlantique, est une réalité.

Les hiatus les plus importants sont observés au Bfa 3 ancien et au 1er Fer 1 ancien, c’est-à-dire durant la seconde moitié du Xe et au VIIIe s. av. J.-C.

Le début du Bronze final correspond aussi, mais dans une mesure bien moindre, à une contraction de la documentation.

Paradoxalement, la mise en évidence de ces horizons « fantômes » aurait été impossible par le seul recours aux approches quantitatives et à la méthode classique de la sériation des ensembles clos.

Si j’ai pu obtenir ces résultats, c’est en procédant régulièrement à des comparaisons avec les données issues des autres provinces atlantiques.

 J’ai pris ainsi la mesure de la désynchronisation des rythmes de constitution des dépôts dans le domaine atlantique, et j’ai pu m’apercevoir que tel horizon typo-chronologique, richement documenté en Gaule atlantique, était médiocrement ou pas du tout attesté ailleurs, et vice-et-versa.

Pour conclure, seule l’échelle d’observation internationale est à même de livrer les clefs de toute la chronologie de l’âge du Bronze final et du début de l’âge du Fer atlantiques, et de mettre en valeur les horizons pour lesquels la Gaule atlantique n’a pas ou peu fourni de dépôts.

Il faudra tenir compte de ces aspects dans la perspective de dresser une histoire des cultures matérielles propres aux élites.

Milcent P.-Y., 2012 –

Le temps des élites en Gaule atlantique.

Chronologie des mobiliers et rythmes de constitution des dépôts métalliques dans le contexte européen (XIIIe-VIIe s. av. J.-C.),

Rennes, PUR, coll. « Archéologie & Culture »,

253 pages, 83 planches ISBN : 978-2-7535-1812-4

Disponibilité : en librairie Prix : 26,00 €

Extraits de la Conclusion de l’Ouvrage de P-Yves.Milcent , 2012 « Le temps des élites en Gaule atlantique »
 

Conclusions             Les dynamiques spatio-temporelles de constitution des dépôts métallique en Gaule Atlantique.

Extraits

« Afin de résumer le contenu des discussions sur la chronologie absolue des étapes et horizons de l’âge du Bronze final et du début de l’âge du Fer en Gaule atlantique, nous donnons ci-dessous un tableau récapitulatif simplifié.

Les dates ont été volontairement arrondies au quart de siècle pour ne pas donner l’illusion d’une précision à laquelle on ne peut parvenir aujourd’hui. […] Le tableau ci-dessous est extrait de la page 181 de l’ouvrage

[…] Evolution des pratiques de dépôt.

En association avec des représentations cartographiques, une approche plus nuancée de l’histoire des dépôts (essentiellement terrestres) de la Gaule atlantique est donc à notre portée :

au BFa 1, on note que les dépôts sont constitués essentiellement d’armes offensives-épées et pointes de lance- et de haches dont la fonction est polyvalente on le sait. Les parures sont proportionnellement très rares. Ces objets sont déposés entiers généralement, mais peuvent aussi bien être intacts que cassés en quelques grands morceaux (dans ce dernier cas, il s’agit surtout d’épées).

Les déchets de coulée, en dehors de quelques ensemble du BFa 1 récent, sont absents. Les dépôts sont plutôt dispersés, nettement moins nombreux et moins riches en restes qu’à la fin du Bronze moyen atlantique […]

au BFa 2, la composition des dépôts se diversifie nettement (les parures apparaissent régulièrement désormais), tandis que les manipulations des objets s’amplifient : ils sont plus souvent fragmentés et surtout lacunaires.

Des déchets de fonte et morceaux de lingot accompagnent régulièrement les produits finis. […]. Par rapport au BFa 1, les dépôts semblent en nombre à peu près équivalent, mais contiennent nettement plus de restes, ce qui s’explique notamment par un taux de fragmentation plus élevé. […]

au BFa 3, le nombre et l’importance moyenne des dépôts sont tels que le contraste est saisissant avec les étapes antérieures (pl.82).

Toutes les catégories fonctionnelles connues à l’âge du Bronze sont représentées, mais souvent sous la forme de fragments d’objets et d’objets lacunaires.

Les nombreux morceaux, sauf exception, ne recollent pas entre eux.

[…] . Si l’on considère désormais les dépôts du BFa 3 ancien, excessivement rares, on peut parler d’un véritable hiatus documentaire qui introduit une rupture par rapport au BFa 2.

Les dépôts du BFa 3 récent, doute encore plus nombreux que ne laisse envisager la carte de répartition, et souvent très riches en nombre de pièces, matérialisent une autre rupture, mais en opposition à la précédente car on a l’impression d’observer une frénésie dans la constitution des ensembles.

Pour l’archéologue, ces dépôts du BFa 3 récent écrasent complètement la perspective par la quantité d’objets et d’informations qu’ils livrent.

Au 1er Fer a 1, comme au BFa 3 ancien, intervient une nouvelle raréfaction drastique des sites, même si leur nombre peut-être légèrement sous-évalué (pl.83). [planche non extraite]

Il est possible en effet que la forte augmentation des dépôts de haches à douille quadrangulaires armoricaines débute dès la transition 1er Fer a 1/ 1er Fer a 2, sinon même un peu avant.

La quasi absence de dépôts au 1er Fer a 1 ancien est en revanche un quasi certitude.

Cette rupture est renforcée par l’extrême raréfaction concomitante des immersions d’objets métalliques […].

La composition des dépôts diffère également radicalement des usages en vigueur au Bronze final et renoue d’une certaine façon avec les pratiques du Bronze moyen : les haches sont presque seules à être déposées et sont intactes, souvent à peine ébarbées.

Cette monotonie des dépôts ouvre une ère nouvelle, qui n’atteint son apogée que vers le 1er Fer a 2 récent où les ensembles se comptent à nouveau, comme au BFa 3 récent, par centaines, et les objets par dizaines de milliers. Le phénomène ne touche toutefois plus que le Massif Armoricain […]

[… ] Cette histoire est donc marquée de profondes discontinuités dans les activités de constitution de dépôts.

Ces discontinuités peuvent traduire toute une gamme de réalités difficilement interprétables : moment de cessation, définitive, ou provisoire, des pratiques qui aboutissent à la constitution de dépôts, évolution notable de ces pratiques qui rend difficile leur conservation, leur découverte ou leur identification précise, translation au profit d’autres régions, etc.

Ce que nous appelons des ensembles de transition correspond sans doute la plupart du temps à des dépôts constitués à une époque où ceux-ci devenaient rares plutôt qu’à une période de véritable mutation morphologique.

Nos horizons bien définis par des productions (BFa 1 récent, BFa 2 ancien ; BFa 3 récent ; 1er Fer a 1 récent) sont essentiellement la traduction des décennies pour lesquelles des dépôts ont été trouvés en nombre et sous une forme variée.

Il en va de même de la céramique, documentée essentiellement pour certaines époques, celles où l’on creuse des fosses ou des fossés susceptibles ensuite de piéger les tessons, ou bien celles où les habitats sont installés près des paléo-chenaux en cours de comblement qui vont aussi fossiliser ces matériaux : ce sont les évolutions de ces formes d’aménagement ainsi que leur degré de fréquence qui donnent l’opportunité, ou non, de trouver en quantité du mobilier céramique.

Si nous avons pu appréhender les autre horizons métalliques, les horizons pauvres, voire fantômes (BFa 3 ancien), c’est essentiellement parce que nos avons eu recours à des ensembles issus d’autres régions du domaine atlantique, en péninsule Ibérique et dans les îles Britanniques, et constitués à des moments où leurs homologues étaient rares ou indigents en Gaule. […]

Sans cette arythmie des pratiques de dépôts à l’échelle de l’ensemble du domaine atlantique, nous n’aurions pu reconstituer cette chronologie détaillée. Du reste, il n’est pas exclu que certains horizons nous échappent encore …

[…]