Inventaire des Croix du Pays du Schiste en Loire-Atlantique par PEPITES44.

Rayonnement de la Pierre bleue au Pays du schiste.

En bleu les Croix en schiste, En jaune celles avec un christ sculpté

Un inventaire des croix du nord de la Loire-Atlantique dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres autour de Nozay a été réalisé en 2016 et 2017, afin de connaître le rayonnement de la pierre bleue, schiste extrait localement dans la région de Nozay, en préalable à la création de l’association PEPITES44.

La trace de près de 1440 croix a été retrouvée grâce à leur inscription sur les cartes IGN au 1/25 000 et aussi par le bouche à oreille.

Au total, près de 1240 croix ont été photographiées et environ 200 n’ont pas été retrouvées dans l’immédiat.

Répartition des croix :  Dans un rayon de 10 km autour de Nozay, on observe un ensemble de 400 croix ( le tiers du total), dont 190 sont en pierre bleue (auxquelles il faudrait ajouter celles en fonte où le schiste est employé dans le socle et dans l’embase).

Dans une seconde couronne, entre 10 et 20 km autour de Nozay, on recense 470 croix avec une centaine en schiste.

Dans la troisième couronne, entre 20 et 30 km et même au-delà, on observe pas loin de 400 croix et la pierre bleue est présente sur 90 d’entre elles.

Croix en schiste :  Sur environ 60 commune recensées, les quatre communes les mieux dotées  (Nozay, Saffré, Vay et Abbaretz) possèdent le quart de l’effectif des croix en schiste, une centaine de croix sur les 410 retrouvées.

10 communes, 1/6 du panel, possèdent la moitié des croix en pierre bleue avec un minimum de quinze croix pour les moins dotées.

On retrouve environ 170 croix pattées, typiques des années 1870.

Le schiste représente 90% des croix de la commune de Nozay, 60% de celles de Marsac/Don, deux communes possédant des carrières d’exploitation de la pierre bleue.

Il représente 55% à Saffré et Treffieux, encore 48% à Lusanger, 45% à la Chevallerais et 42% à Derval.

A Saint-Aubin des Châteaux les croix en schiste sont 65 % du total des croix, 48 % à Sion-les-Mines et toujours 40 % pour Petit-Auverné et Grand-Auverné malgré la distance au bourg de Nozay.

Ce pourcentage doit être relativisé en fonction du nombre de croix de chaque commune qui peut varier de 10 à 100.

Datation des croix :  L’origine de ce patrimoine remonte parfois à plus de 400 ans, avec l’apparition des croix juliennes qui sont en quelque sorte des poteaux indicateurs sur le trajet parcouru par les pèlerins en direction de St Julien-de-Vouvantes, pèlerinage très en vogue à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe siècle.

En raison de leurs construction en deux parties, avec un croisillon possédant la plupart du temps un christ sculpté, elles ont été démontées et mises à l’abri pendant la tourmente révolutionnaire.

Mais la majorité des croix de schiste de la région date de la fin du XIXe siècle, heure de gloire du renouveau des carrières de schiste après deux siècles de ralentissement d’activité.

Notamment, sous l’impulsion de la famille Franck, dont la première génération est arrivée de Lorraine et a su adapter les machines pour le débitage des moellons de schiste en grande série.

Période faste pour l’exploitation du schiste :

Ces milliers de « cubes » formant les entourages des portes et fenêtres et des chaînages d’angle des constructions ont été utilisés pour l’édification des maisons de garde-barrières et des ponts de la ligne de chemin de fer locale inaugurée en 1885.

A Nozay, au plus fort de l’activité, ils étaient environ plus de 150 à travailler directement dans une dizaine de carrières, avec 136 carriers répertoriés dans les listes nominatives du recensement de 1911 aidés de journaliers travaillant à l’occasion comme tireurs de pierre pour le compte des exploitants de carrières.

On retrouve alors comme exploitants de carrières (avec leurs ouvriers), notamment, les Franck, Bouvet, Launay, Benay?, Lemasson, Lessard.

Voici la répartition des croix dans le Pays du Schiste

CommuneSchiste
(Christ)
Fonte+ FerCiment
+arbre
GranitTotal
Abbaretz21 (5)11+02+0041
Blain19 (11)25+818+77102
Bouvron1 (0)19+17+0949
Casson0 (0)5+02+0119
Châteaubriant3 (0)0+01+005
La Chevallerais14 (2)3+23+5030
Conquereuil1 (0)2+00+017
Derval10 (2)8+02+2128
Erbray6 (0)5+12+0625
Fay-de-Bretagne3 (1)18+11+02264
Fercé1 (0)1+03+028
Le Gâvre3 (1)6+01+1013
Le Grand-Auverné9 (7)3+15+0123
Grandchamps Fontaine0 (0)3+01+0213
La Grigonnais9 (1)12+02+1036
Guémené-Penfao1 (0)10+12+0118
Héric11 (5)24+213+4476
Issé16 (6)3+02+1130
Jans7 (0)3+02+0016
Joué/Erdre4 (0)5+15+1527
Louisfert1 (0)3+04+009
Lusanger12 (2)3+03+0021
Marsac/Don18 (3)5+01+0428
La Meilleraye de Br.2 (0)3+15+0115
Moisdon-la-Rivière5 (0)4+05+0627
Mouais3 (1)3+02+1115
Nort/Erdre8 (1)5+116+1439
Notre Dame des L.0 (0)11+01+01733
Noyal/Brutz1 (0)0+02+003
Nozay38 (11)2+01+0133
Petit-Auverné6 (5)3+01+0212
Plessé3 (0)32+14+0354
Puceul9 (3)3+11+0217
Quilly0 (0)10+01+0013
Rougé4 (0)1+01+1415
Ruffigné3 (0)1+02+1113
Saffré29 (5)10+010+3162
Sion-les-Mines16 (0)1+05+1130
St-Aubin Châteaux15 (1)0+01+0125
St Julien de Vouvantes6 (0)4+01+0319
St Vincent des Landes8 (1)2+10+0018
Soudan12 (0)0+013+0333
Les Touches0 (0)1+07+0011
Treffieux7 (2)1+03+0114
Vay16 (3)12+00+3162
Villepôt2 (0)2+07+0020
Pierric1 (0)8+01+0012
Trans/Erdre1 (0)1+03+009
Bonnoeuvre2 (0)3+04+0113
Freigné2 (0)1+17+0314
La Chapelle-Glain4 (0)10+04+0122
Le Pin7 (2)9+02+0019
Pannecé0 (0)6+03+0011
Riaillé(



St Mars-la-Jaille1 (1)4+01+0312
St Sulpice des L.4 (3)9+03+0019
Teillé4 (3)14+01+0223
Vritz1 (0)3+03+0213

410(81)356+24202+331261438
Croix de schiste du Pays de Nozay (8 communes)
Croix de schiste du Pays de Derval (6 communes)
Croix de schiste du Pays de Châteaubriant (9 communes)
Croix de schiste des Pays de Moisdon-la-Rivière et Saint-Julien-de-Vouvantes

Les Croix Juliennes

Les croix dites « juliennes »

Extraits du texte d’un article de la revue Tiez-Breizh N°34 de 2015

Auteurs : Gilbert Massard avec la collaboration de Christophe Derbré

Pour illustrer le texte les photos sont ici de José Teffo                                sauf mention particulière

Ce modèle de croix typique de la région de Châteaubriant n’a semble-t-il fait l’objet d’aucune étude complète.

Nous vous proposons ci-dessous une enquête faite par l’abbé Trochu, aumônier de la maison hospitalière de Riaillé, communiquée en février 1985, et complétée par ses notes manuscrites déposées aux Archives Diocésaines de Nantes.

[…] On attribue très souvent cette dénomination à toutes sortes de croix. Il semble donc intéressant d’essayer de rassembler les éléments de recherche sur ce sujet en précisant d’emblée qu’il ne peut s’agir d’une étude exhaustive, mais plutôt d’une invitation lancée aux amoureux des croix, de partir à la découverte de ce petit patrimoine oublié.

« Caractéristiques : Long fût assez mince, taillé parfois en une seule pièce de pierre d’ardoise, le plus souvent en deux pièces. Petit croisillon, simple ou orné au milieu duquel on voit le plus souvent un petit christ en relief ou simplement gravé.

C’était des croix placées au croisement des chemins principaux menant à St Julien-de-Vouvantes, lieu de pèlerinage très ancien et populaire.

En ce lieu nommé Voant ou Vouant (origine inconnue) les moines de St Florent-le-Vieil avait fondé un prieuré-paroisse, dédié à St Julien-de-Brioude, soldat martyr mort en 304.

Dès le haut Moyen âge, il y avait là un pèlerinage, où l’on venait de tous les alentours (Bretagne, Anjou, Normandie), pèlerinage surtout populaire, mais aussi attirant de hauts personnages comme certains Ducs de Bretagne.

Plus tard, en 1650 ou peut-être avant, un fait regardé comme un miracle attribué à l’intercession de St Julien, attira à Vouvantes, une affluence considérable de pèlerins bretons vannetais.

Un convoi de galériens en route vers le port de Brest, s’arrêta à Vouvantes. L’un de ces condamnés demanda la protection de St Julien et aussitôt ses chaînes tombèrent et on ne put jamais les lui remettre. Il semble que le retentissement fut plus grand dans les paroisses situées entre la Vilaine et Vannes ou Auray, car ce sont eux qui organisèrent ces pèlerinages fleuves vers St Julien en deux périodes de l’année, le premier pardon était célébré le 28 août, fête du saint et le 14 septembre.

C’était une marche à pied de 120 km de moyenne pour des groupes de 1200 à 1500 bretons vannetais. Il fallait prévoir le ravitaillement et les haltes du soir. Tout le long du parcours, il y avait des croix qui balisaient le chemin que l’on a ainsi nommées « Croix juliennes ».

Pendant les années de la Révolution, il y eut un abattage systématique de toutes les croix. Ce ne fut pas toujours facile, car la population locale défendait ses croix. En général, les municipalités ne tenaient guère à confier cette besogne à la police locale, par crainte des représailles. On faisait appel aux patrouilles de l’armée En certains endroits, les croix furent démontées et cachées pour être relevées après 1800 et la pacification. Actuellement, on retrouve de ces croix, bien que le pèlerinage de St Julien ait été réduit à peu de choses. » Abbé Trochu

Sur les pèlerinages

La Zone géographique concernée par la présente étude, située aux limites de trois provinces, est au carrefour de nombreux chemins de pèlerinage. […] [notamment] celui de St Julien, où les pèlerins venaient principalement de Basse-Bretagne (de l’évêché de Vannes, de Rochefort et même de Carnac), puis des paroisses bretonnes voisines, d’Anjou, du Maine et de Normandie. […].

Le pèlerinage remonte sans doute au Haut-Moyen-Age et a connu une grande renommée jusqu’à son apogée au XVIIIe siècle, avec une fréquentation supérieure à 10 000 personnes. Au XIe siècle, durant la période des grands défrichements, les moines de l’abbaye de St Florent-le-Vieil édifièrent une chapelle dédiée à St Julien le martyr.

Le Duc Jean V, qui finança l’érection de l’église primitive de Vouvantes, vint implorer le saint en 1425, puis en 1428. […].

Le pèlerinage est le témoignage d’un culte de fertilité agraire relevant de la religion populaire et rurale en particulier, accompagné de rites thérapiques. Le premier consistait en l’immersion dans la fontaine éponyme (jadis triple, elle rendait la vue aux aveugles, guérissait des fièvres et enlevait les rhumatismes), et le second à se passer au cou un collier de fer fixé à une chaîne scellée à un pilier de l’église.             Cet ex-voto est en lien avec le miracle d’un galérien.

St-Julien-de-Vouvantes était aussi jadis un lieu d’étape sur la route des galères de Brest à Toulon : de quelques dizaines par an, le nombre des galériens crût jusqu’à plus de 400 sous Louis XV lors de deux passages annuels.

La légende dit qu’au XVe siècle, l’un d’entre eux ayant prié avec une grande ferveur le saint de lui accorder le pardon, aurait vu ses chaînes tomber à trois reprises.

Le 28, jour de la St Julien et tous les dimanches jusqu’à la fin de l’automne, les pèlerins apportaient des boisseaux de grains qu’ils vidaient dans des tonneaux placés à côté de la statue du saint, puis reprenaient une poignée d’autres grains fournis par le recteur qu’ils mêlaient de retour chez eux à leur semence afin de la faire fructifier. Cela s’effectuait dans un rituel symbolique bien précis : le pèlerin attachait un sac contenant le grain à son bâton sur lequel il mettait son chapeau ; il frottait ensuite la statue du saint de son long plusieurs fois de son sac et de son chapeau, en insistant sur le contact entre son couvre-chef et le casque du saint. […]

Les caractéristiques des croix « juliennes »

Croix de schiste, le plus souvent en deux parties, de section octogonale. Le fût, d’une hauteur moyenne de 2,5 m peut atteindre plus de 4 m (Vergonnes).

 En raison du matériau et de son ancienneté, beaucoup de ces croix fragilisées sont cerclées de ferrures (St-Michel-et-Chanveaux, Jans, St Aubin-des-Châteaux)

La base du fût quand elle est carrée, est souvent ouvragée – torsades, moulures -(Issé, Nozay) et comporte une partie blasonnée (Rochementru en Le Pin) portant motif héraldique (Vieux-bourg à St Sulpice-des-Landes, Villechoux à Grand-Auverné) date (16 à ce jour) et date de restauration (Cimbrée à St-Julien-de-Vouvantes, La Haute-Riverais à Grand-Auverné) et inscription gravée (croix du Champ Renaud à Issé).

A St-Germain en Vay, on observe, gravé sur le fût, un beau cadran solaire.

Les croisillons portent le plus souvent un christ sculpté, la représentation est très sommaire : simple ovale pour le visage, bras démesurés et mains évasées, côtes saillantes, jambes longues et raides, pied dégrossis. Le titulus est large et épais avec gravé l’inscription INRI […]

Le titulus peut-être muet ou fortement érodé. […]

On explique la simplicité de la représentation du Christ par le fait, qu’il s’agit de tailleurs de pierre, et non de sculpteurs comme on peut le voir sur des croix historiées ou sur les grands calvaires bretons.

On rencontre encore quelques socles d’origine montés en belles pierres de schiste (Issé, Le Pin, Nozay, Puceul). […]

La Datation.

Un premier relevé de ces croix nous apporte de précieux renseignements, on constate que sur 43 croix recensées, 16 sont datées et authentifiées. […]. On n’a d’ailleurs pas trouvé, à ce jour, de croix datées postérieures à 1659.

Il ne semble pas non plus qu’aux XVIIIe et XIXe siècles des croix de ce type aient été fabriquées. […]

Une étonnante ressemblance.

Il n’est pas question ici de reprendre toutes les caractéristiques de ce type de croix, aussi nous nous limiterons à quatre détails pour montrer l’étrange similitude de ces trois croisillons dont tout indique qu’ils sont sortis du même atelier.

Le titulus est large et épais, l’inscription est incomplète à Combrée, absente à Petit-Auverné et illisible à St-Michel-et-Chanveaux.

Les mains sont larges, les doigts nettement marqués, la marque de la crucifixion est identique dans les trois cas et ne se retrouve pas sur d’autres croix.

Le périzonium n’est pas ici qu’un simple pagne, mais plutôt une courte culotte. Les pieds sont longs et déformés, pied droit sur gauche, ce qui est toujours le cas sur les croix observées. […]

Conclusions

On l’aura bien compris, ce modeste article ne peut être que l’ébauche d’une étude plus poussée sur ce type particulier de croix, dont la concentration géographique est située au nord du département de Loire-Atlantique, avec seulement quelques exemplaires en Ille-et-Vilaine et Maine-et-Loire.

Malgré une destruction systématique et à grande échelle, il est légitime de penser que des exemplaires sont encore à découvrir. Il serait intéressant de recueillir toutes les informations pouvant compléter utilement ce premier relevé afin de définir l’importance et l’influence de ces croix de schiste dans l’immense production de ce petit patrimoine. Toutes les contributions seront les bienvenues et reçues avec gratitude.

L’intégralité de cet article de 9 pages est disponible auprès de :  http://www.tiez-breiz.bzh/